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Le droit de préférence du preneur : un droit non-négociable!

Désireux de faciliter l’accès à la propriété du preneur commercial, le législateur a, par la loi « Pinel » du 18 juin 2014, créé au profit de celui-ci un droit de préférence (ou de préemption), proche de celui accordé à l’occupant d’un bail d’habitation.

Ainsi, aux termes de l’article L.145-46-1 du code de commerce, le bailleur, qui souhaite vendre des locaux loués, a l’obligation de notifier son offre de vente au preneur desdits locaux, lequel doit ensuite lui faire connaître ses intentions selon des modalités précises. Cette offre devant mentionner le prix et les conditions de vente.

Par un arrêt en date du 28 juin 2018[1], la troisième chambre civile de la cour de cassation s’est prononcée sur le caractère d’ordre public de ce droit, faisant ainsi échec aux clauses de renonciation introduites par de nombreux rédacteurs de baux.

En l’espèce, le propriétaire d’un immeuble à usage commercial, loué à la société Librairie B, avait donné mandat à une agence immobilière, la société Kehl, de rechercher un acquéreur.

Le 12 mai 2015, la société Greginvest Belgium avait fait connaître au propriétaire son intention d’acquérir ledit immeuble. Le 20 mai suivant, le bailleur notifiait à son locataire une offre de vente aux mêmes clauses et conditions que celles qui avaient été acceptées par la société Greginvest Belgium ; cette offre correspondant au prix de vente augmenté des honoraires de négociation de l’agence immobilière.

Le locataire accepta cette offre, en refusant toutefois de s’acquitter des honoraires demandés.

Le propriétaire assigna alors son locataire, l’agence immobilière et la société tierce, afin que cette dernière fût autorisée à acquérir l’immeuble concerné.

Les juges du fond, confirmant le droit de préférence exercé par le preneur, considèrent que la vente était parfaite et condamnèrent le bailleur à régulariser un acte de vente avec celui-ci, sans honoraires de négociation.

Saisie par la société évincée, la cour de cassation rejette le pourvoi en ces termes :

« Ayant retenu à bon droit qu’en application de l’alinéa 1er de l’article L.145-46-1 du code de commerce, disposition d’ordre public, le bailleur qui envisage de vendre son local commercial doit préalablement notifier au preneur une offre de vente qui ne peut inclure des honoraires de négociation et ayant relevé que le preneur avait fait connaître au bailleur son acceptation d’acquérir au seul prix de vente, la cour d’appel en a exactement déduit que la vente était parfaite. »

Par cet attendu de principe, la haute juridiction :

  • Confère, pour la première fois, un caractère d’ordre public au droit de préférence ;
  • Confirme que la notification faite par le bailleur au preneur ne peut inclure des honoraires de négociation.

 

[1] Cass. 3e civ., 28 juin 2018, n°17-14.605

 

 

 

Arrivée aussi attendue que redoutée du décret d’application de la loi Pinel !

Arrivée tant attendue, comme redoutée, du décret d’application de la loi Pinel !

En adoptant la loi Pinel du 18 juin 2014, dont le décret d’application a été publié au journal officiel le 5 novembre 2014 le législateur a substantiellement modifié le statut des baux commerciaux.

Outre l’emblématique encadrement du déplafonnement de certains loyers de renouvellement, et la suppression de la nullité au profit de la réputation non écrite dans les articles L 145-15 et 16 (clauses contraires aux dispositions d’ordre public du statut), l’une des  principales (r)évolutions opérées par la loi Pinel et son décret d’application a trait aux charges locatives.

En effet, jusqu’alors, la question de la répartition de ces charges, et donc de leur caractère récupérable sur le locataire, était laissée à la liberté contractuelle des parties.

Désormais, l’article R 145-35 vient considérablement limiter les charges susceptibles d’être imputées au preneur, lesquelles devront été énumérées ( nature et répartition) dans un inventaire précis et exhaustif annexé au bail :

Ainsi, ne pourront plus être mis à la charge du locataire :

1° Les dépenses relatives aux grosses réparations mentionnées à l’article 606 du code civil ainsi que, le cas échéant, les honoraires liés à la réalisation de ces travaux ;

« 2° Les dépenses relatives aux travaux ayant pour objet de remédier à la vétusté ou de mettre en conformité avec la réglementation le bien loué ou l’immeuble dans lequel il se trouve, dès lors qu’ils relèvent des grosses réparations mentionnées à l’alinéa précédent ; (était-il utile d’insister, les grosses réparations étant visées plus haut?)

« 3° Certains impôts, notamment la contribution économique territoriale, taxes et redevances dont le redevable légal est le bailleur ou le propriétaire du local ou de l’immeuble ;

 « 4° Les honoraires du bailleur liés à la gestion des loyers du local ou de l’immeuble faisant l’objet du bail ;

Ont, néanmoins, été exclus de cette liste la taxe foncière et les taxes additionnelles à la taxe foncière ainsi que les impôts, taxes et redevances liés à l’usage du local ou de l’immeuble (quid de la taxe sur les bureaux?) ou à un service dont le locataire bénéficie directement ou indirectement (taxe de balaye, taxe d’enlèvement des ordures ménagères).

Non content de mettre fin, de fait, aux baux « triple-net », vocable désignant les baux mettant à la charge des preneurs jusqu’aux obligations des bailleurs – mises aux normes, assurance bailleur, taxe foncière et taxe d’enlèvement des ordures ménagères, etc– il y a fort à parier, qu’en présence d’un marché déjà fragilisé, ces modifications législatives et réglementaires n’entraînent une augmentation des loyers (valeur de marché comme valeur de renouvellement) voire des charges récupérables pour les futurs locataires.

Gageons que nous n’aurons pas beaucoup à attendre, lesdites dispositions s’appliquant aux contrats conclus ou renouvelés à partir du 5 novembre 2014 !

Cf. Prochain article sur les modifications apportées par la loi Pinel aux statuts des baux commerciaux.

(1) La formule « triple net (net,net,net) » est employée pour indiquer que toutes les dépenses sont à la charge du locataire. Le locataire paie directement les taxes et autres dépenses. Dans certains cas, il peut même y avoir des frais administratifs supplémentaires.